Un péage sur l'Oise à Pontoise au Moyen Age

Aux origines du "travers de l'eau du pont de Pontoise"

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Livre de raison de l’abbaye Saint-Martin de Pontoise contenant deux exemplaires écrits du tarif du travers de l’eau du pont de Pontoise ainsi qu’une série d’enregistrements relatifs aux sommes perçues par celle-ci au titre du travers entre 1329 et 1402, ADVO, 9 H 2.

Le travers (péage) de l’eau du pont de Pontoise trouve vraisemblablement son origine dans des prélèvements effectués sur les marchandises circulant sur l’Oise, attestés à partir de la première moitié du XIe siècle. Désignés comme droits de navigation (navigerum), de coutumes (consuetudine), de tributs (tributum) ou de travers (transitu), ils sont détenus par les comtes du Vexin, puis par les rois de France, qui en exemptent alors plusieurs abbayes normandes. Du XIe au XIIIe siècle, le devenir de ces droits reste peu connu alors qu’ils font sans doute l’objet de donations successives à différents seigneurs laïcs possessionnés à Pontoise ou dans ses environs.

La constitution d'un fief à partir du XIVe siècle

Au XIVe siècle, le travers constitue un fief, tenu du roi, rattaché à l’Hôtel de Poix, à Pontoise. Il est subdivisé en trois fiefs (fief de Cordeloys ou Cordelier, fief de Camberons et fief de Manselons ou des Mansebours), eux-mêmes constitués de trois parts, totalisant ainsi neuf parts.
Jusqu’à 1380 l’Hôtel de Poix est la propriété des représentants de la maison Tyrel de Poix, puis de ceux de la famille d’Orgemont, seigneurs de Méry-sur-Oise. L’ensemble de ces fiefs a fait l’objet de plusieurs transmissions successives et est en réalité tenu en arrière-fief par différents seigneurs, dont l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise, pour un neuvième, à partir de 1329. Un certain nombre de rentes est également pris sur les revenus du travers. A partir de la seconde moitié du XVe siècle, on ne compte plus que trois co-seigneurs, la famille d’Orgemont, l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise et Jean Becquet (récompensé par Charles VII pour sa bravoure lors de la prise de Pontoise en 1441), puis ses descendants.

La circulation des marchandises et leur taxation

La taxation porte sur les marchandises, transportées par bateau sur l’Oise et franchissant les limites du fief. Celles-ci étaient matérialisées, avant la seconde moitié du XVe siècle, par deux grandes croix en bois situées sur la rive gauche de l’Oise, l’une en face de l’église d’Eragny, et l’autre à proximité d’Epluches.
Les conditions dans lesquelles se déroulaient les opérations de perception ne sont pas connues avec certitude avant la fin du XVe siècle. A partir des années 1390 elles étaient confiées à un ou plusieurs fermiers désignés par les co-seigneurs. Ceux-ci étaient choisis parmi les habitants de Pontoise et pouvaient exercer en parallèle d’autres activités (boulanger, épicier). Même si le pont de Pontoise est associé au nom du travers, aucune opération de contrôle ne semble s’y être déroulées : les marchands ou voituriers par eau qui s’arrêtent à Pontoise sont tenus d’aller déclarer les marchandises qu’ils transportent au receveur, qui les inscrit dans un registre conservé à l’Hôtel de Poix. Le défaut de déclaration est, en théorie, passible d’une amende de 60 sous parisis ou de la confiscation du bateau et de sa cargaison.
Le montant de la taxation est établi selon un tarif listant une trentaine de marchandises, auxquelles sont associées une unité de mesure et une somme d’argent. Deux versions de ce tarif (l’une rédigée vraisemblablement au début des années 1330, la seconde au début des années 1360), sont conservées dans le Livre de raison de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise, sans que l’on sache qui a défini ces tarifs ni à quelle date ils ont été fixés pour la première fois. Des exemplaires écrits étaient toutefois utilisés par les fermiers du travers pour justifier des montants prélevés.

Marchandise

Mesure

Tarif (en denier parisis)

Grain

Muid

4 d.p.

Vin

Tonneau

2,5 d.p.

Queue

1,25 d.p.

Muid

1 d.p.

Sel

Muid

4 d.p.

Hareng saur

Millier

0,5 d.p. à 2 d.p.

Hareng frais

Millier

1 d.p. à 4 d.p.

Bois de construction, bûches

Au navire

5 d.p. à 17 d.p.

Métal

Cent

4 d.p.

Figues et raisins

Couple

0,5 d.p. à 4 d.p.

Cuir

Leth

40 d.p.

« Graisses » (huile, suif, miel…)

Cent, somme

4 d.p.

Montant de la taxation des principales marchandises imposées au titre du travers sur l'eau du pont de Pontoise selon les tarifs du XIVe siècles (en denier parisis).

Alors que plusieurs établissements ecclésiastiques bénéficient d’exemptions accordées par le pouvoir royal, certaines dispositions des tarifs exonèrent le transport de certains biens relevant de la consommation personnelle des habitants de Pontoise (comme le vin ou les cuirs). Dans la seconde moitié du XVe siècle, les marchands de la ville revendiquent (et en bénéficient parfois) l’élargissement de celles-ci à l’ensemble des denrées qu’ils font venir à Pontoise. Cette situation conduira à un important procès entre la ville et les co-seigneurs au début du XVIe siècle.

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Carte des flux commerciaux.

Les revenus du travers de l'eau du pont de Pontoise

Revenu annuel (en denier parisis par année civile) perçu par l'abbaye de Saint-Martin de Pontoise au titre d'un neuvième du travers de l'eau du pont de Pontoise (1329-1405). Source : ADVO, 9 H 2.

L’évolution des revenus tirés du travers est partiellement connue pour les XIVe et XVe siècles grâce à une série d’enregistrements conservés dans le Livre de raison de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise et dans les comptes de l’abbaye. Ceux-ci connaissent un maximum de 270 livres parisis annuelles au début des années 1330, avant que les aléas de la guerre de Cent Ans n’affectent durablement ce montant : dans les premières années du XVe siècle, ils ne représentent plus qu’environ 115 livres parisis par an, et dans le dernier quart du XVe siècle, ils oscillent entre 45 et 80 livres parisis.

Aux siècles suivants, le travers reste entre les mains des seigneurs de Méry-sur-Oise et son paiement par les voituriers par eau circulant sur l’Oise fait encore régulièrement l’objet de contestations et de procès.

RENARD, Bruno, Chercheur Université de Caen

2021

Pour en savoir plus

Fonds d'archives

Fonds de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise, ADVO, 9 H 2 : Livre de raison de l’abbaye contenant deux exemplaires écrits du tarif du travers de l’eau du pont de Pontoise ainsi qu’une série d’enregistrements relatifs aux sommes perçues par celle-ci au titre du travers entre 1329 et 1402.
Fonds de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise, ADVO, 9 H 22 : Comptes des receveurs de l’abbaye pour les années 1476-1477, 1485-1487 et 1490-1491 avec les revenus de l’année perçus au titre du travers.
Fonds de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise, ADVO, 9 H 24 : pièces relatives aux droits de l’abbaye sur un neuvième du travers de l’eau du pont de Pontoise (lettres d’amortissement du fief, donation à l’abbaye par Pierre d’Hérouville, rédigées entre 1312 et 1368)
Archives municipales de Pontoise, FF36 (pièces du procès engagé par les co-seigneurs du travers de l’eau du pont de Pontoise à l’encontre de plusieurs marchands pontoisiens 1507-1519), FF37 (Poursuite et instruction judiciaire contre le procureur et gouverneur de Pontoise pour obtenir le paiement des frais du procès (1527-1529) et FF38 (diverses pièces relatives aux droits du comte de Saint-Chamans, seigneur de Méry-sur-Oise sur le travers de l’eau du pont de Pontoise, XVIIe siècle).

Bibliographie

ALARD-BONHOURE, Anne-Laure, Richesses en crise : techniques de gestion et écritures comptables à l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise (années 1320 – années
1490), thèse de doctorat, Paris I Sorbonne, 2019. [BIB 4/16c]
DEJUINE, Claude, Les péages terrestres et fluviaux de la Somme et de l’Oise au Moyen-Age, Mémoire de DES, Lille : Faculté des lettres, 1958, 159 p.
DEPOIN, Joseph, Le livre de raison de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise (XIVe et XVe siècles), Pontoise : Société Historique du Vexin, 1900, 243 p. [BIB 8/85]
LESORT, André, « Le trafic du vin sur l’Oise au Moyen Âge », Bulletin philologique et historique jusqu’à 1610 du Comité des travaux historiques et scientifique, vol. I, 1960, p. 295-302
PANNIER, Léopold, « Méry-sur-Oise et ses seigneurs au Moyen Age », Mémoire de la société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, vol. I, 1875,
p. 229-290
RENARD, Bruno, Les revenus du travers de l’eau du pont de Pontoise, exemples de pratiques administratives et de gestion (du XIVe au XVe siècle), Mémoire de Master 2, Université de Caen, 2021, 227 p. [BIB en cours de cotation]
SEGUR-LAMOIGNON, Edgar, DEPOIN, Joseph, Histoire seigneuriale, civile et paroissiale de Méry-sur-Oise, Pontoise, 1892, 142 p. [BIB 4/16c]