Une cloche appelée Denise-Sophie

Il y a 80 ans, Aincourt devenait un camp d'internement

Les mesures d’internement au camp d’Aincourt, 28 mai 1942, ADVO, 1 Z 385.

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L’avant-guerre

Au début du XXe siècle, la tuberculose sévit en France car aucun traitement n’est alors trouvé. Le département de Seine-et-Oise ainsi que le Conseil général rencontrent des difficultés à soigner et à placer les malades et décident, par délibération du 5 octobre 1929, la création d’un sanatorium départemental. C’est le domaine de 73 hectares de La Bucaille à Aincourt qui est acquis. Sa localisation, sur une butte au grand air à 202 mètres d’altitude et loin de toute agglomération permet d’éviter la propagation de la bactérie et d’atténuer la maladie.
Un concours d’architecture est lancé le 24 février 1930 : la volonté est de construire trois bâtiments pouvant accueillir 500 lits à destination des hommes, des femmes et des enfants. Des pavillons annexes doivent être construits à destination du service médical (réfectoire, salle de réunion, logements du directeur et du personnel médical). Les architectes, Edouard Crevel (1880-1969) et Paul Decaux (1881-1968) qui en sont les lauréats réalisent ce projet dès avril 1931. Les travaux durent deux ans et l’ouverture aux malades a lieu le 18 juillet 1933.
Les trois bâtiments longs de 200 mètres chacun sont situés au milieu d’une forêt, exposés au sud et espacés les uns des autres de plusieurs centaines de mètres pour des raisons sanitaires. Chacun d’eux peut accueillir jusqu’à 150 hommes, 150 femmes et 200 enfants ce qui fait de ce sanatorium à cette époque, le plus grand du pays.
Les bâtiments se sont vu attribuer le nom des trois personnes porteuses du projet : les bâtiments Louis Amiard (1872-1935), président du Conseil général, pour accueillir les enfants, Bonnefoy-Sibour (1881-1966), préfet de Seine-et-Oise, pour accueillir les hommes, et Edmond Vian (1874-1930), médecin, pour accueillir les femmes.
Les constructions sont représentatives de l’architecture fonctionnaliste, la mode « paquebot » se retrouvant dans la silhouette des bâtiments.

Le camp d’internement

La guerre interrompt les soins. Le pavillon des enfants ferme le 3 février 1939 et les deux autres suivent au moment de l’exode, le 9 juin 1940.
A la suite de la constitution du gouvernement de Vichy, le nouveau préfet de Seine-et-Oise réquisitionne les lieux le 5 octobre 1940 pour installer dans le bâtiment Bonnefoy-Sibour un camp d’internement administratif pour personnes arrêtées dans plusieurs départements : Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Finistère. Les internés sont encadrés par des gendarmes français. Le sanatorium est alors nommé « Centre de séjour surveillé ». Le préfet peut désigner sans enquête et sans jugement tout individu comme étant suspect ou dangereux pour la défense nationale et l’incarcérer dans ce camp. Dans un premier temps, y sont internés des communistes, des syndicalistes, des socialistes, des francs-maçons soumis à des travaux forcés dans la forêt, des installations de barbelés... On comptabilise 667 détenus dans ce seul bâtiment en juin 1941. De mai à septembre 1942, ce sont des femmes juives, tziganes ou bien accusées d’aide à la résistance qui succèdent aux prisonniers politiques (48 femmes dont la fiancée de Guy Moquet (1925-1941), Odette Nilès). Pour éviter des rassemblements entre détenus de même idéologie, des transferts ont lieu dans d’autres camps ou prisons comme au Mont-Valérien, à Fontevrault, ou à Poissy.
Ce sont au total 1 056 prisonniers qui ont transité par Aincourt avant d’être déportés dans des camps de concentration en Pologne le plus souvent au camp de Ravensbrück ou d’Auschwitz, et peu d’entre eux ont survécu.
En mars 1943, René Bousquet (1909-1993), secrétaire général de la police du régime de Vichy, décide de faire de ce camp un centre de formation et d’entraînement de Groupes mobiles de réserve (GMR), chargés, avec les milices, de retrouver les résistants.

L’après-guerre

En 1946, l’établissement reprend ses activités premières comme sanatorium et les bâtiments changent de nom : Le bâtiment Louis Amiard s'appelle Les Cèdres, Bonnefoy-Sibour Les Tamaris, et Edmond Vian Les Peupliers.
Par la suite, la tuberculose étant traitée par des campagnes de vaccination, le sanatorium n’a plus lieu d’être. Il est transformé en centre médical en 1972. De 1973 à 1978, un jardin japonais est créé pour le bien-être des patients par le médecin Hamon.
Seul le bâtiment des Cèdres, anciennement pour les enfants, redevient un établissement de santé du groupement hospitalier intercommunal du Vexin en 1988. Aujourd’hui, il ne reste que des ruines des Tamaris et des Peupliers, ce dernier servant clandestinement aux adeptes de paintball et de tags.
En 1994, une stèle est implantée à l’entrée du domaine de La Bucaille, au nom de la mémoire des fusillés et des déportés. Une cérémonie a lieu chaque année dans la première semaine d’octobre organisée par l’association Mémoire d’Aincourt pour en commémorer le souvenir.
Les Cèdres et les Tamaris sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1999.
Plusieurs projets de réhabilitations ou de reconversion des bâtiments ont été proposés ces dernières années sans qu'aucun n'ait été mis en œuvre, le dernier en date étant d'en faire des logements de luxe.

Juliette Epain, Service des Publics
Direction des Archives départementales du Val-d'Oise
Octobre 2020

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Fonds d'archives

  • Archives départementales du Val-d'Oise :

Cabinet du sous-préfet de Pontoise. (1939-1945) [1 Z 385]

Camp d’internement d’Aincourt pendant la Seconde Guerre mondiale, organisation de cérémonies commémoratives : coupures de presse, correspondances. (1996-1997) [2420 W 73]

  • Archives départementales des Yvelines et de l’ancienne Seine-et-Oise :

Cabinet du préfet de Seine-et-Oise [1 W 69-80]

Préfecture de Seine-et-Oise, police générale (en particulier fichiers des internés 300W 262-262) [300 W]

 

Bibliographie


COLOMBIER, Roger, « Aincourt : un camp oublié - Octobre 1940 », 2009. 

GILLES, José, « Le sanatorium du Vexin à Aincourt », Les cahiers de la Société historique et géographique du bassin de l'Epte, 70, 2013, p. 47-55.

« Aincourt, un camp de concentration dans le Val-d’Oise », L’Echo- Le Régional, 7 avril 1994, p. 5.

Rapport à la commission permanente n° 7-08, séance du 3 mars 2008, Direction de l’action culturelle, subvention départementale pour la restauration des Monuments historiques inscrits : aide exceptionnelle pour l’étude préalable à la restauration du bâtiment des Tamaris – ancien sanatorium d’Aincourt, propriété du Centre Hospitalier du Vexin – Territoire du Vexin français. [Dossier de l'Inventaire du patrimoine, ADVO]

Sitographie (03/09/2020)

https://www.youtube.com/watch?v=1BjM3gUrFL0

Mémoire d’Aincourt, Amicale châteaubriant Voves-rouille Aincourt, Mémoire Vive des convois des « 45 000 » et des « 31 000 » d’Auschwitz-Birkenau, « AINCOURT Centre d’internement de 1940 à 1942, détourné de sa vocation première, celle de soigner »Groupement Hospitalier Intercommunal du Vexin, 22/09/2018, sanatorium maubuisson

Frédéric Naizot, « Aincourt : le projet immobilier de l’ancien sanatorium sur les rails »,  Le Parisien, 10 mars 2019.