Un certificat de renvoi de nourrice

Un certificat de renvoi pour les nourrices

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Au tout début du XIXe siècle, l’activité des nourrices en région parisienne est coordonnée par la Direction générale des nourrices. Les procédures de contrôle mises en place ressemblent encore beaucoup à celles en cours sous l’Ancien Régime.

Dans le fonds des archives communales déposées de La Roche-Guyon, le dossier consacré aux nourrices comporte des archives de la fin du XIXe siècle, ce qui est relativement courant. Plus rare, une partie des documents date du tout début du XIXe siècle. On y trouve notamment un certificat de renvoi pour nourrices daté du 13 frimaire an XII (5 décembre 1803).

Un contrôle à l’efficacité limitée

Ce jour-là, une Guyonnaise se présente à la Direction générale des nourrices à Paris, rattachée depuis peu au Conseil général des hôpitaux et hospices civils de Paris créé en 1801. Elle est accompagnée de son meneur, un certain Herbinier. Le meneur est à l’époque un personnage indispensable au bon déroulement des opérations. Conducteur des jeunes femmes qu’il emmène à Paris et ramène chez elles, recruteur lorsqu’il œuvre à la campagne, il délivre et transmet les documents administratifs, se porte garant de la nourrice, et s’assure que l’enfant confié se porte bien. Sur la foi des informations qu’il donne, la Direction générale remet un enfant à la jeune femme et lui délivre un certificat de renvoi, destiné au maire de la commune. Le document atteste de la présence de l’enfant dans le village et de la responsabilité de la nourrice.

Tout semble contrôlé. En réalité, le contrôle est peu efficace. Ainsi, le système des meneurs entraîne tant de fraudes que la fonction est supprimée en 1821. Sans aller jusque-là, le document présenté comporte des imprécisions quant à l’identité de la nourrice, Marie-Anne « Gaitaal », épouse de Jacques Doulay, accouchée six mois plus tôt. Or les recoupements avec les registres d’état civil et les listes de recensement de La Roche-Guyon, exceptionnellement disponibles pour la période, ne permettent pas de retrouver sa trace. En revanche, ils orientent le chercheur vers Marie-Jeanne Guibert, épouse de Jacques Doulé ; tous deux sont parents d’une petite Marie-Anne, née six mois avant la visite à Paris… Difficile de savoir si ces approximations sont volontaires ou non, et si elles sont dues à la nourrice, au meneur, au rédacteur du certificat…

Une surmortalité des nourrissons

Quelle que soit son identité, « Marie-Anne » repart avec une petite fille née douze jours plus tôt. Nourrice « sur place », c’est-à-dire à son domicile, sa rémunération est moins importante que celle d’une nourrice « sur lieu », au domicile des parents. Si la procédure a été respectée, elle a remis au maire son certificat de renvoi, accompagné du certificat de naissance de l’enfant : en effet, sans lui, impossible de délivrer par la suite un certificat… de décès. On ignore quel a été le destin de la petite fille confiée à la nourrice guyonnaise. Mais la surmortalité des nourrissons à la campagne au XIXe siècle est une réalité historique connue et documentée, dont on retrouve des traces dans le dossier des archives de La Roche-Guyon. Les courriers échangés entre la Direction générale des nourrices, les parents, et le maire, à propos des différentes nourrices qui exercent dans la commune – au moins treize entre l’an IX et 1811, évoquent plusieurs fois des décès de nourrissons. Les parents se plaignent également de ne pouvoir récupérer la layette de l’enfant, n’ont pas de nouvelles de la nourrice, ou encore émettent des doutes sur sa fiabilité…

L'évolution de la surveillance

 Tout au long du XIXe siècle, les bureaux de placement se multiplient dans la capitale, concurrençant la Direction générale des nourrices. Celle-ci est finalement supprimée en 1876, alors qu’une nouvelle législation se met en place. Deux ans plus tôt, la loi Roussel du 24 décembre 1874 a en effet instauré une surveillance médicale et administrative des nourrices et des nourrissons, aux échelons départementaux et locaux. S’accompagnant de mesures de prophylaxie, elle permet de réduire le nombre de décès des enfants de moins de deux ans placés en nourrice à l’aube du XXe siècle.

Roselyne Chapeau,
Service des Publics
Janvier 2023

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Fonds d'archives

Dossier consacré à la surveillance des nourrices et nourrissons. Archives communales déposées de La Roche-Guyon, [E-DEPOT 2 5Q11]

Bibliographie

DES ESSARTS, Dictionnaire universel de police. Paris : tome 7e. 1785, p.249 à 301. Version numérisée consultable sur Google Books.

AUGIER, Victor, Encyclopédie des juges de paix. Paris : tome 4e, 1835, p. .138 à 140. Version numérisée consultable sur Google Books.

FAY-SALLOIS, Fanny, Les nourrices à Paris au XIXe siècle. Paris : Payot, 1997, 284 p.

Sitographie (consultation le 10 janvier 2023) 

ROMANET, Emmanuelle, « La mise en nourrice, une pratique répandue en France au XIXe siècle », Transtext(e)s Transcultures 跨文本跨文化, Open Edition journals, mis en ligne le 02 décembre 2013.

CHEDEVILLE, François, « Chronologie, l’entourage, l’homme – Annexe IX : l’industrie des nourrices au XIXe siècle », société Paul Cézanne, mis en ligne le 20 décembre 2018.

 LA HAUBAUDIERE, Christian de, Nourrices (XVIIIe-XIXe siècle), l’industrie du nourrisson parisien, herodote.net, mis en ligne le 6 juin 2021.